Journal de bord

Date précedente Date suivante

Kompong Cham, le 5 Novembre de l'an de grâce 2000

Bien le bonjour,
J'affronte sans aucune inquiétude cette page blanche, car ma mémoire est bien remplie pour parler jusqu'à la fin de ma vie... Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, c'est dimanche, et en accompagnant les missionnaires dans les différentes paroisses de la préfecture de Kompong Cham, je découvre plein plein de belles choses (accompagnées hélas de moins belles : on voit ici le plus beau et le plus terrible. C'est étrange de toujours devoir les trouver ensemble partout dès qu'on en trouve un...).

En route pour Pouh Thmeï

Aujourd'hui, destination Pouh thmeï (c'est à dire nouvelle ville). 9h00 du matin, un missionnaire, un séminariste, un jeune catéchiste étudiant au centre catho de Kompong Cham, 1h15 de route ! Ce n'est plus les 15 minutes pour aller à Koh Roca. Ce n'est pas le même sens non plus : on remontait le Mékong sur la rive droite toujours. Et enfin, la route était bien pire.Toujours en première ou seconde avec un embrayage pire que sur ma dernière voiture (si ce message arrive sur l'écran d'un de mes futurs éventuels acheteurs de ma superbe R11, 1987, blanche, CT sept OK, impeccable, séparation pour cause expatriation, prix d'ami, ne vous effrayez pas. Je dis cela pour faire "exotique", pour nourrir les clichés de l'Asie, et faire plus aventurier, pour faire le malin encore une fois...). Donc, avec des dénivelés de 2 mètres parfois, avec des troupeaux de buffles, de vaches, un passage en radeau là où la route est encore coupée par le Mékong, et surtout un paysage de film, non, beaucoup plus beau qu'un film (je suis rémunéré par le ministère du tourisme pour écrire ça...), nous arrivons à Pouh Thmeï.

Incroyable crue du Mékong

Village comme les autres sur le bord du fleuve. Là, le Mékong est descendu de 7 mètres environ, je dirais, et il paraît qu'il va descendre encore de 8 m pour n'être qu'un filet d'eau (du genre la Seine...) au milieu de son lit. Je ne m'habitue pas à la crue extraordinaire de ce fleuve. Bien sûr, à peine arrivés, nous sommes d'abord invités à manger... Mais la route m'avait creusé et ce serait le seul repas avant le soir. Puis ballade dans le village et dans les champs (équipé d'une formidable Pierre Noire...) J'oubliais... (Il faut le faire...) Nous étions accompagnés d'un vingtaine d'enfants.

Les enfants du Cambodge

Au Cambodge, 80% de la population a moins de 18 ans... Les enfants me regardent d'abord en froncant les sourcils, ils me regardent sous toutes les coutures. Je leur fais de simples sourires sans vouloir trop faire attention à eux, sinon ils s'échappent. Puis très vite, on me sourit à n'en plus finir, et on se bat pour m'attrapper les mains. Laissez-moi citer un petit bout d'un lettre d'une jeune fille partie en Thaïlande il y a 3 semaines pour 18 mois avec Point-Coeur (qui s'occupe des enfants dans les coins pauvres du monde entier. Je pense qu'elle serait d'accord pour que je livre cette partie de sa lettre) : "Les enfants nous apprennent comment aimer. Quand ils te voient pour la première fois, ils ne cherchent pas d'abord à savoir comment tu t'appelles, quel est ton passé, ce que tu fais, ils t'aiment tout de suite, c'est la première chose qu'ils font." Et bien c'est pratiquement l'expérience que j'ai faite cette après-midi, à une heure d'avion de Bangkok. J'ai ressorti tous mes vieux trucs pour les faire rire. Ca faisait des siècles que je n'avais pas fais tout ca. Heureusement, j'avais pris avec moi ma bobine de fil transparent, ainsi que mon aiguille transparente. Je leur ai montré comment je pouvais me transpercer et faire se lever tout seuls les sourcils gauche et la lèvre avec cette aiguille magique et ce fil magique. Ils étaient tout conquis et j'étais tout fier en les voyant rire et en redemander à éprouver mon endurance ! Mais ils ont un peu de mal à comprendre les règles de petits jeux pourtant très simples. Je pense qu'ils comprennent un peu, mais ça ne les amuse pas autant qu'en France. J'avais remarqué ça aussi à Kah Sampov. Par contre, ils aiment bien tout ce qui est manège humain improvisé (avion, tourniquet et autre bazar) !... C'est comme ca que je fais du sport ici...

Une vie plus simple, mais plus belle

Il y a eu ensuite la messe puis nous sommes partis dans l'après-midi. Quand on revient de ce genre de petit village, on se dit que la vie au Cambodge est plus simple mais plus belle. Je pense que je devrais pourtant me méfier de ce genre d'impression car il y a tout de même un revers de la médaille assez dramatique pour beaucoup d'entre eux. Néanmoins, je demeure convaincu que les enfants d'ici ont plus facilement l'occasion d'être heureux que beaucoup d'enfants francais. S'ils veulent s'amuser, ils n'ont qu'à rejoindre la myriade d'enfants qui sont dehors. Ici, pas de recommandations (légitimes cependant) de parents : "ne sors pas, sinon tu pourrais te faire renverser. Tu vas rencontrer des inconnus..." Ici, tout le monde est dehors de toute façon. Ils ont une terre entière pour eux tout seul. Pas de cités HLM qui les retiennent ou les exposent au danger. En France, ceux qui peuvent jouer dehors sont soit ceux qui sont bien inscrits dans le contexte de la ville, soit ceux qui ont une maison avec un terrain. Ici, ils n'ont pas un terrain. Ils ont le Cambodge. Ils n'ont pas de centre aéré à payer. Ils ont un village avec une très grande majorité d'enfants de leur âge avec leurs jeux tout simple. Ils n'ont pas de piscine avec un droit d'entrée. Ils ont le Mékong et les marres au milieu des rizières. Etc...

Une maturité précoce ?

C'est vraiment un autre contexte. Parfois, quand ils sont calmes, on les voit sourire légèrement et ils regardent à l'horizon, comme s'ils méditaient. Ils sont vraiment impressionnants. A la messe, ils peuvent être calmes si on leur demande, alors même qu'ils sont les plus nombreux et qu'ils pourraient très bien aller dehors continuer à s'amuser. C'est une bonne leçon pour tous les parents français qui me disent qu'on ne peut pas emmener ses enfants avec soi à la messe. Ils avaient mis un billet de 500 riels dans mon sac à dos pendant qu'on allait voir les paysans (impressionnantes les méthodes ancestrales pour planter les choux et faire les sillons !). Ils voulaient voir si je sentais quelque chose... Ils ont la technique, j'avoue. En repartant, ils ont dit au revoir à Lok Puk Gérald (P.Gérald) et Lok Puk... David ! C'est pas bien clair dans leur tête tout ça...

Le choc des nationalités

Sur la route du retour, le soleil commencait à se coucher, donc crépuscule tropical féérique... La route longe le Mékong en plein d'endroits, donc, une couche supplémentaire pour le décor... Le pont en construction, au loin, nous montrait notre progression vers Kompong Cham. Juste avant la ville, j'ai apercu un village flottant de vietnamiens. Exclus, haïs, arnaqués, mal logés. L'histoire qui se répète, comme partout, nous met au défi comme en nous nargant : arriverez-vous au moins à cohabiter ? !

L'intolérance religieuse

Juste en face, un village de Tchiams (minorité de musulmans). Le pasteur protestant américain (adventiste de béthanie) racontait, il y a quelques jours, qu'il y avait eu une conversion dans cette communauté qui s'isole pour ne pas fréquenter les infidèles. Ce tout jeune chrétien lui disait qu'il avait d'énormes pressions des autres musulmans qui le traitaient de "grand pêcheur" devant tout le monde. Il a été menacé d'être exclu de toutes les communautés musulmanes du pays. Il craint également pour sa vie, surtout si les missionnaires pakistanais attendus arrivent prochainement dans le pays. (Tout ce que je dis, je l'ai entendu et je n'ai rien vérifié, mais ca ne m'étonnerait pas, vu qu'il se trouve sous le coup du 38e hadi du prophète : tu dois tuer un musulman qui est surpris en flagrant délit d'adultère, ou qui a changé de religion. Heureusement que les musulmans de France sont plus modérés...).

J'ai vraiment beaucoup de chance

J'ai presque honte de me trouver ici et de pouvoir vivre toutes ces belles expériences. Ca a le temps de changer, mais pour l'instant la vie ici est plutôt au beau fixe pour moi. En partant de France, j'ai laissé beaucoup de monde dire que j'avais du courage de tout lâcher. Et puis voilà que je suis mieux "loti" que beaucoup d'entre vous. Peut-être est-ce un petit clin d'oeil passager pour rappeler que ce n'est qu'en perdant sa vie qu'on la trouve. (J'aurai cependant encore 1000 occasions de redonner ma vie pendant ces deux ans, et ce ne sera sans doute pas aussi facile à chaque fois !...) "Messire Dieu, Premier Servi !"

Voilà pour les dernières nouvelles. Merci pour les vôtres, et pour toutes vos prières. Je ne vous oublie pas dans les miennes.
A bientôt !

David Lamballe

Date précedente Date suivante