Journal de bord

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Kompong Cham, le 2 Décembre de l'an de grâce 2000

Shalom ! Bien le bonjour
Depuis deux semaines, quelques petites choses ont eu le temps de se passer, du coup je n'ai pas pris le temps de donner de nouvelles. Pardon !

Comptabilité quand tu nous tiens

Donc, j'ai commencé la comptabilité qui me prend pas mal de temps. En fait, on se demande même s'il n'y aurait pas besoin de doubler le poste ici. Mais c'est aussi la paresse qui parle dans tout ca. En tout cas, l'ancien coopérant qui vient de me refiler le poste depuis deux semaines y pensait déjà. Je tiens donc 22 caisses (contre... 77 à Phnom Penh. Le coopérant de là-bas a vraiment du mérite  !). C'est-à-dire que j'écris sur papier et à l'ordinateur tout ce que l'Eglise de Kompong Cham dépense et reçoit en argent (la moitié est du Cambodge tout de même). Je m'occupe des dossiers de financements, de la caisse centrale, du coffre (qui appartenait aux forces de l'ONU quand les casques bleus étaient là en 1993...).

Du cash ! ! !

Donc, je m'amuse avec beaucoup d'argent !!! C'est assez impressionnant. Tout à l'heure, je suis allé changer "beaucoup" dollars au marché, l'air de rien. Du coup en riels, j'avais pas mal de billets dans mon sac à dos. Heureusement, je l'avais vidé juste avant au cas où. Ensuite, je me balladais dans la ville à pied, comme si de rien n'était, pour aller payer le téléphone. Tout est toujours en cash dans ce pays. C'est ca qui met du piment dans ce travail. Vive le risque ! Ou l'inverse ?... Oui, c'est ca, plutôt ! Vivement qu'il y ait des banques au Cambodge !!!

Un prof de français au Cambodge

Ensuite, je donne des cours de francais à une quinzaine de jeunes de 14 à 19 ans de 18 à 19 h, du lundi au vendredi. C'est un bol d'air dans la journée. C'est assez chouette. Ils sont assez faciles. rien à voir avec les francais. Les petits trucs d'autorité marchent très bien. Pas la peine d'être très inventif. Quand ils s'excitent un peu trop, je baisse le ton, puis j'en fixe un. Il se rend compte qu'il n'a rien suivi, et je "l'affiche", je le lui fait remarquer, et ça calme tout le monde. En France, ça ne marche pas trop souvent, ça. Par contre, un jour, j'ai dit à une fille : "Ecoute, les cours sont gratuits, je donne de mon temps pour te donner un coup de main, d'autres aimeraient avoir ta place, alors fais un peu l'effort de travailler et de moins parler." Elle m'a alors dévisagé assez méchamment. J'avais été un peu fort, En lui faisant perdre la face, il n'y avait plus un bruit. On m'a dit après qu'il fallait leur faire des remarques en tête à tête. Pourtant, je continue de faire des remarques si nécessaire.

Conflit de cultures ?

Les choses évoluent très vite. Dans les villages, on sent un Cambodge très proche de ce qui devait se vivre avant. Mais dans la ville, j'ai l'impression qu'ils se servent de ce que les étrangers cherchent à s'integrer, et ne pas faire de vagues, pour profiter de ces "touristes" et arriver à leur fin. C'est une intuition que j'ai depuis pas mal de temps déjà. En tout cas, c'est ce que je ferais si j'étais à leur place. Je donnerais des leçons sur ce qui se fait ou non dans mon pays pour servir mes intérêts ou équivalents. Je veux dire que si j'étais un élève, avec un prof qui ne connait rien de ma culture asiatique connue pour être différente de la culture européenne, je ferais en sorte qu'il comprenne qu'il n'est pas possible d'avoir de l'autorité sur moi comme il le désire. C'est peut-être pas clair ce que je dis, mais j'aurai peut-être le temps de creuser la question au fur et à mesure et d'en reparler.

Des cours pour le prof

Demain, je repars à Phnom Penh pour trois jours suivre une formation pour profs de francais (il y aura beaucoup plus de khmers), car je vais leur donner des cours sûrement très bientôt (en tout cas, ceux qui sont au lycée bilingue de Kompong Cham). On se partage le poste avec l'autre coopérant, car c'est assez lourd de se rajouter 6h par semaine de cours. Donc, 3h chacun. Le responsable de la francophonie au Cambodge avec lequel on a déjeuné la semaine dernière est bien parti pour accepter nos candidatures. On remplacerait le dernier coopérant, qui avait mis un pied au lycée de cette manière. C'est donc tout naturellement que les profs sont venus nous voir pour qu'on les aide à passer les degrés de l'équivalent du TOEFFEL en francais. On verra.

Des volontaires à l'usine de caoutchouc

La semaine dernière, je me suis balladé de nouveau dans la région proche et dans la plantation de caoutchoucs car deux volontaires de Pour un Sourire d'Enfant etaient de passage pour le WE. J'étais bien sale le dimanche soir, avec la pluie qui était tombé durant la nuit. J'ai même pris une photo de mes pieds, car avec la moto et les supers routes cambodgiennes, on en rammasse... Nos motos avaient changé de couleurs aussi. Bref, on est une bande de jeunes, etc...

La rouge pour le Père Ponchaud

En parlant de ca, pour quelle occasion 7 coopérants avaient loué le même costume et s'étaient acheté des lunettes de soleil ? C'est parce qu'ils étaient invités à l'ambassade de France pour la remise des insignes de la légion d'honneur au P.Ponchaud, le fameux missionnaire qui a écrit ''Cambodge, année 0'', le livre connu pour avoir annoncé et dénoncé au monde entier le génocide khmer rouge. Le déjeuner était plutôt de bon goût... Je ne me lave plus la main depuis que j'ai rencontré toutes ces personnalités prestigieuses.

Le quotidien atroce de beaucoup de cambodgiens

Pendant le repas, au milieu des joutes verbales et des jeux de répartie auxquels je m'amusais orgueilleusement moi-aussi avec une japonaise, qui s'était pas mal balladé dans le monde, entre ambassades et ONU, je me rappelais que le matin même, j'étais passé près de petits enfants, en plein Phnom Penh, qui dormaient ou plutôt, étaient en train de mourir, en plein soleil, avec des mouches qui s'intéressaient à leur crasse, dans une odeur pitoyable. Ces petits gars, par leur présence, tout près du plus prestigieux marché de la capitale, surprenaient un séminariste qui s'achetait des films récents. J'étais pas fier. On voit parfois des monstres demander de l'argent. Ils sont déformés, bossus, mutilés on ne sait comment. Ils, ou leurs parents plutôt, profitent de cet état dramatique, mais qui est aussi source de revenu pour la famille. Ce qui fait que c'est encore plus terrible. On ne cherche pas à guérir son petit gars, on l'envoit au marché. Et qui sait s'il n'y a pas des conditions pour qu'il soit accepté à son retour au foyer. Faut-il un minimum de revenu ? Et sera-t-il un minimum aimé ?

Donner pour nourrir le système ou se cacher derrières de belles excuses

Si on donne de l'argent, on a tout de suite des centaines de mendiants autour de soi et on nourit le système. Si on ne donne pas, on cherche à se justifier en disant que si on donne un poisson à un homme, on le nourrit pour un jour, tandis que si on lui apprend comment pêcher, il a manger pour la vie (ce qui reste vrai). Mais c'est une belle excuse. Je ne suis pas allé faire ma contribution aux ONG juste après. On dit aussi "notre travail ici est notre plus belle contribution". C'est une belle cachette aussi. On est quitte avec tous ces parias puisqu'on est coopérant ? C'est un peu trop facile tout ca. Je suis toujours aussi mal à l'aise. Il y a des motos-dop qui se font tuer pour leur vieille motos. J'ai parfois dans la poche de quoi leur offrir 3 motos toutes neuves parfois. Waouh... Il y a un drôle de décallage.

Le défi au chrétien

Quand on voit ça à la TV, il y a l'écran. Moi, j'ai de quoi utiliser à bon escient ou non, mon salaire. Le "comment" dénonce nos lâchetés, et nous met au défi. "Tu es chrétien ? Ca change quoi ? Que fais-tu de plus que certains lascars chinois businessmen qui viennent rue des petits fleurs s'ils sont radins, ou dans tous les karaokés/bordel de la ville s'ils veulent s'inculturer ?". On s'habitue à tout ca, c'est terrible. On en parle facilement. Il faut bien vivre, mais la souffrance du Christ dans tous ces petits est tellement proche et si visible ici. En France, on peut vivre sans la voir et mourir en pensant qu'il n'y a plus de misère. Mais rien à voir avec ici.

Gardons espoir et suivons les exemples qui nous entourent

Donc, hauts les coeurs ! Nous ne valons pas grand-chose, c'est vrai, mais nous essayons de suivre l'exemple de ceux qui ont donné leur vie avant nous : Mgr Joseph Salas, premier évêque cambodgien, mort d'épuisement dans les camps de travail des khmers rouges. Il est resté vivre et mourir pour ses frères. Je donne beaucoup moins, c'est certain. Mais la route est tracée. Dans cette optique, si je me trouvais à Phnom Penh, cette semaine, c'est que je suis allé visiter les jeunes du diocèse de Kompong Cham qui étudient à la capitale. Dans le groupe, il y a aussi une handicapée (aveugle) qui habite dans une maison avec plein de petits gars bien chouettes. Je me suis amusé avec une fille qui avait dû avoir une attaque à l'acide. C'était le jeu des osselets mais à la khmer. Bien-sûr, j'ai perdu, après m'être battu comme il se doit ! C'est très facile de discuter avec eux. Ils sont patients, ils cherchent à comprendre mon khmer hésitant. Ils sont tellement volontaires et semblent tellement courageux. Ils sont mes maîtres. Si je m'écoutais, j'arrêterais d'agir et je pleurerais sur le retard humain que j'ai sur eux. C'est donc aussi une excellente école de pauvreté et d'humilité quand on veut bien se faire leur disciple et essayer de se tenir debout. Et dire qu'on dit que ce sont eux les handicapés. C'est marrant la vie, tout de même... Je ne veux pas les mettre tout de suite sur un pied d'estale, ils sont pêcheurs comme nous, c'est sûr. Mais ils sont sûrement plus près de Dieu que nous le sommes.

Je vous garde dans mes prières, et compte sur la vôtre

Il y aurait tellement de choses à partager, mais il se fait tard ! Ce que je vis en ce moment n'a aucun précédent. La vie est sûrement un terrain d'entraînement. En ce moment, c'est un cours assez dense dans lequel j'aurai l'occasion de puiser toute ma vie. Après ces belles paroles un peu trop envolées, je vous assure toujours tous de ma petite prière, en comptant plus que jamais sur la vôtre.
A bientôt !

David, petit séminariste heureux doublement puisque le diocèse de Pontoise a un nouvel évêque depuis jeudi (je l'ai su presque en direct ! Vive internet) : Hervé Renaudin. Tous ceux qui auront la chance de pouvoir être à son ordination épiscopale sont une bande de petits veinards !!! J'exige des photos et des rapports détaillés !

Ensuite, autre nouvelle : le dernier MEP (Missions Etrangères de Paris) part pour... le Cambodge ! Vincent Sénéchal, ancien coopérant du Cambodge (96 à peu près...) est diacre depuis samedi dernier et devrait arriver ici quand je partirai !...
DEO GRATIAS pour tous les petits et grands événements de la vie. Prions pour eux et pour toutes les intentions que je vous ai confiées dans cette circulaire.

A bientôt pour de nouvelles aventures...

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